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Le henné : traditions, création, appropriation ?

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Jeu de mots, jeu de mots ! Oui, ici aussi on a le confinement long … Cette semaine, Désoriental te raconte la tradition du tatouage au henné. Et qui sait, peut-être qu’à la fin de cet article toi aussi tu sauras tatouer …

Le henné : soin, ornement et talisman

Le henné est un arbuste probablement originaire du sud de l’Iran. Ses feuilles à l’odeur terreuse sont depuis l’Antiquité connues pour leurs propriétés colorantes, antiseptiques, astringentes et anti-odorantes entre autres, et elles étaient déjà utilisées au temps des Pharaons lors des rites funéraires.

On connaît le henné pour ses feuilles donc, mais il est aussi apprécié pour le parfum délicat de ses fleurs, notamment au Moyen Orient. Ce parfum est cité dans la Bible plusieurs fois dans le Cantique des Cantiques : “Mon bien-aimé est pour moi comme une grappe de henné dans les vignes d’Eyn-Guédi.

Le henné accompagne les événements heureux de la vie depuis des millénaires, dans de nombreuses cultures et spiritualités. Il accompagne aussi parfois des rites chamaniques. Enduit sur tout le corps, sur les mains, sur les pieds, sur la tête, dessiné en tatouage éphémère ou posé en pâte, il symbolise le bonheur, la fertilité, la vie et éloigne le mauvais oeil.

la “nuit du henné”, une tradition qui traverse cultures et religions

On retrouve le rite de la “nuit du henné”, un enterrement de vie de jeune fille, dans de nombreuses spiritualités : chez les zoroastriens, les hindous, les juifs, les premiers chrétiens, les sikhs et les musulmans. Et avec l’essor de l’islam, cette tradition s’est développée de l’Indonésie au Maroc, de la Bulgarie à la Tanzanie. On l’appelle kopher, henna, ale, jabe, foudeun, kina, mehndi, mailanchi, … 

Cadeau, une playlist qui passe chez les Turcs, les Roms, les Algériens, kabyles ou non, les Iraniens, les Indiens, les Marocains juifs, les Afghans, … pour un petit le tour de monde auditif des nuits du henné !

Du côté des techniques, on travaillait autrefois le dessin à la main, au bâton, au tampon ; désormais à l’aiguille, au cône, au “sparadrap pochoir” ou au pinceau. Le mélange de base est fait de poudre de henné et d’eau mais on voit parfois s’ajouter d’autres éléments, dans la pâte ou à côté, pour vivifier la couleur du tatouage ou apporter d’autres symboles de bonheur : citron et sucre, oeuf, dattes, fruits, bissap, bougies, …

S’il est connu pour l’enterrement de vie de jeune fille, dans certaines cultures les hommes aussi ont eux aussi droit à leur rituel festif du henné avant le mariage, avec des dessins plus simples. C’est le cas chez les Kumaoni d’Inde et du Népal ou au Yémen lors du ‘alam al henna, qui peut parfois finir en bataille de henné virile !

Les motifs nord-africains, juifs ou musulmans, sont parfois inspirés des dessins tribaux berbères, parfois en arabesques. Les tatouages tchadiens ou soudanais ont eux des traits épais et beaucoup de lignes, les motifs somalis sont eux plutôt floraux. Les Roms alternent géométrie et arabesques. Là où les motifs musulmans et juifs sont abstraits, les motifs hindous sont figuratifs et très remplis : lotus, paon, motif cachemire, dessin des mariés, du dieu Ganesh, …

le henné, objet pop pour le meilleur … et pour le pire !

Woodstock et mai 68 ont fait du henné une passion hippie aux côtés du yoga, du hashish et de la sitar. Un intérêt qui a de l’écho jusqu’aujourd’hui avec les looks de festivals et leurs “tatouages éphémères boho” blancs ou dorés aux motifs de mehndi traditionnel.

Dans les années 1990, il devient pop mainstream avec des artistes comme Madonna et Gwen Stefani. Plus récemment on a pu voir Beyonce avec un tatouage sur le ventre lors de sa baby shower, Rihanna se faire tatouer la main façon mehndi, ou encore la chanteuse Pia Mia porter régulièrement des motifs traditionnels sur son corps.

Le henné s’est également invité dans les défilés ces dernières années, en « tatouage-gant » chez Antonio Berardi en 2018 et chez Dior en camaïeu de teintures l’an dernier.

henne appropriation culturelle

Il est question ici d’appropriation culturelle, même si certains henna artists dont c’est la culture estiment que cela contribue à faire reconnaître mondialement le tatouage au henné en tant qu’art, souvent dans le respect de la tradition et des artistes, comme le souligne la dubaïote Azra Khamissa dans Vogue : « J’adore voir le henné utilisé et apprécié en occident et dans le monde. Je ne vois pas cela comme une appropriation mais plutôt comme une appréciation. Les femmes de l’ouest que j’ai vues le pratiquer ont un tel amour pour l’art du henné. » Oui, cette question d’appropriation culturelle est complexe.

Aujourd’hui le henné est aussi source de micro-tendances cosmétiques comme les faux freckles, les coloris glittery, l’utilisation du jagua sud-américain à la place du henné pour une couleur foncée mais sans danger, ou l’utilisation du henné comme autobronzant naturel.

tendance henne faux freckles glitter jagua

Objet pop récupéré s’il en est, le tatouage au henné est aussi revisité par les héritiers de cet art, avec des tendances comme les motifs de mehndi en skylines de grandes villes, les dessins abstraits et épurés d’une Azra Khamissa, ou les motifs affinés et modernisés d’Arts of Zaman.

Désoriental x Arts of Zaman : tuto pour un motif minimaliste au henné

« Il y a entre l’Afrique et l’Europe un fossé qui n’en est pas un, car moi, je ne sens pas de fossé en moi. (…) Je suis marocaine et française, française et marocaine, et ça se voit jusqu’au bout de mon art. » Si c’est pas désoriental ça ! Ce sont les mots de Samia, créatrice du henna studio exigent Arts of Zaman (@artsofzaman sur Instagram), là où « le traditionnel n’a jamais été aussi moderne » !

Rendez-vous en IGTV sur le compte Instagram de Désoriental pour découvrir le tuto vidéo « motifs de henné minimalistes d’inspiration marocaine avec Samia, créatrice de Arts of Zaman.

Prépare ton cône si tu as de la poudre de henné chez toi, et sinon, ton meilleur feutre noir !

crédit photo de couverture : Arts of Zaman

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2 réponses

  1. Bonjour je trouve cet article bien détaillé et concernant l’appropriation culturelle, il me semble que c’est souvent un sentiment d’auto défense de gens qui ont subi ou subissent le poids des souffrances de leurs ancêtres. De voir des européens arborer leurs parures réactive une barrière défensive.

    Ça me rappelle que je n’avais pas porté publiquement des parures offertes lors d’une cérémonie et conseillé à ma mère de faire de même de crainte d’en offenser les héritiers. A cette époque, on n’entendait pas parler de l’appropriation culturelle populairement comme aujourdhui.

    En fait, mon mari s’est étonné qu’on ne les ait pas portées et quand il a su mes raisons il m’a dit au contraire, vous auriez-du assister vêtues avec nos symboles et voyait ça comme une faille.

    Aujourd’hui ce mouvement à pris de l’ampleur et il y a plein d’avis qui s’opposent mais il me semble qu’il y a des gens autant des peuples majoritaires que minoritaires qui se confortent dans ce qu’ils reçoivent comme un vol de propriété d’inspiration coloniale. J’imagine que les européens qui adhèrent à l’idée renforcent ces sentiments. Aujourd’hui, je ne suis pas certaine que de porter les parures que j’avais reçues soit considéré comme un acte innocent et dénué d’emprise sur l’ autre »

    Il est possible que si on aime porter les ornements ou symboles d’autres peuples c’est peut-être car nous avons perdu les notres, notamment en Europe avec la mondialisation, l’uniformisation, la déculturation ( perte de nos dialectes) etc.
    Ça se traduit ( a mons sens du moins ) par un atrait particulier pour d’autres cultures, philosophies..

    Il est certain que cela heurte des gens de voir leurs éléments sur des occidentaux, non invités surtout et particulièrement si le motif est lié a leurs cultes, à ce qui leur est sacré. J’ai lu un jeune homme indigné que des gens profanent l’hindouisme dans ses cérémonies. Il avait peine a les voir comme déguisés en hindous et offenser leur culte, impur. Je pense donc qu’on doit vraiment s’informer si on souhaite avoir une tenue, un objet, un motif sur soi, (henné y compris) s’assurer qu’il n’est pas sacré afin de ne pas offenser les gens.
    Et aussi s’abstenir de cérémonies si on est un simple passionné d’une culture qui a certainement mille choses qui nous sont inabordables en simple initié.

    Ça peut être très différent de ce qui nous est habituel en tant que chrétien (par exemple) par ce que bien des aspects de la chrétienté sont en quelque sorte désacralisés et universaliste. Ce qui peut ne pas être le cas là ou la ritualité est sacrée et omniprésente.

    Il est bon qu’il y ai eu un réveil concernant l’appropriation culturelle par ce qu’il existe une marchabdisation d’un artisanat séculaire précieux et vendu au détriment de ses légitimes héritiers, en même temps, concernant le transfert de traditions d’une culture à l’autre, le monde a toujours fonctionné comme ça et c’est pourquoi le savoir, les histoires, les habitudes, ses plats, se ressemblent. Il y a une somme de connissances millénaires dans chaque mouvelle chose que l’humanité conçoit.

    Il est évident que mimer une culture comme on ferait un déguisement à de quoi mettre mal à l’aise. Cependant on apprend des langues, on se pare par touches de ces autres mondes et si on vit en contact avec diverses régions, on s’en imprègne mentalement et physiquement et cela grandit.

    Il y a cependant quelque chose qui plutôt que d’instaurer le respect risque d’instaurer un clivage, une fracture entre les communautés si il devient barrière.
    Ça pourrait même être exploité contre les minorités qui seraient plus marginalisées.

    Il y a quelques jours ma fille et moi avions des « tatouages » au henné et son père m’a demandé d’en refaire. Il pense qu’ainsi, sa culture sera plus visible et appréciée alors que pour certains, cela peut paraître étrange, imposant. Une porte pour faciliter le contact entre cultures en quelque sorte.
    Ça peut paraître « invisibilisant » pour les minorités mais en fait, les gens sont attirés par ce qui leur est inhabituel dans leur communauté et c’est ce qui en fait le succès.

    Je suis persuadée que c’est la singularité d’une chose hors de son contexte qui fait son appréciation et que ça explique davantage pourquoi des élements tels le maquillage, la coiffure, la parure, le vêtement soient moins remarqués et complimentés chez leurs propriétaires ou ils sont habituels que des questions de racisme ou de conquête.

    1. Merci pour le partage de votre point de vue ! C’est un sujet complexe et c’est agréable de pouvoir en discuter. Nous sommes d’accord, tout est une question de contexte et la ligne est parfois fine entre appropriation et appréciation culturelle.

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