Parce qu’on ne va pas attendre les prochaines actualités angoissantes autour du racisme pour s’outiller, et puis qu’on a un peu de temps devant nous il paraît, cette semaine, Désoriental te propose de quoi te nourrir sur la question raciale en prenant ton temps, avec 5 podcasts qui questionnent le multiculturalisme à la française. Leur point commun : ce sont des conversations, emphase sur le “des”. Plusieurs conversations, plusieurs récits, plusieurs points de vue. Avec ce point commun d’être toujours intimes, mais toujours rattrapés par le politique.
Extimité
Il remporte la palme du meilleur titre !
L’extimité, c’est cette zone grise entre l’intime et la chose publique. Et au fond ça rend bien compte des vécus de tout type de population discriminée : quand on est en minorité, on ne peut pas se payer le luxe de ne pas se positionner sur les questions sociales et politiques liées à son groupe (jurisprudence bah-quand-même-on-aurait-bien-aimé-un-peu-plus-les-entendre-les-musulmans-après-les-attentats), et en même temps, quoi, quel groupe ? Ici c’est la République, il n’y a que des citoyen.ne.s, on ne voit pas les différences.
On est le ou la représentant.e de son groupe qu’on le veuille ou non, et on a un devoir d’exemplarité.
On est ce.tte fameux.se ami.e noir.e, gay, bipolaire, arabe, transgenre, handicapé.e.
Dans Extimité, on sort de ces injonctions extérieures et on entend ces personnes appartenant à des groupes sociaux marginalisés se raconter intimement, dans leur complexité et leur diversité, et ça fait du bien.
Sans blanc de rien
Un podcast antiraciste réalisé et présenté par une femme blanche, avec pour sujet central … la blanchité !
Le fond est brillant et la forme captivante : on est plongé, épisode après épisode, dans le monologue intérieur d’une femme belge blanche suite à une situation raciste tristement banale dont elle a été témoin dans le métro.
Tout la questionne, les événements, ses réactions, ses conversations avec des ami.e.s, ses recherches, et on la voit traverser le déni, la culpabilité, la prise de conscience du caractère systémique du racisme, et la quête de sa place dans le combat antiraciste.
Tout y passe, du classique “j’ai un ami noir” au bienveillant “je ne vois pas les couleurs” en passant par le racisme anti-blanc.
Eh non, c’est pas juste un gros kiff de parler de “question raciale”, “race” ou encore “racisé.e” : c’est un vocabulaire nécessaire si on espère un jour faire disparaître tout ça.
Un peu comme pour le féminisme : on pourrait juste parler d’humanisme, mais en fait non, c’est important de le nommer ainsi, féminisme.
Un podcast qui devrait être remboursé par la sécu !
Mix and match
Ce podcast explore les méandres du bricolage culturel des couples français métissés. Chaque épisode est un grand chapitre de la relation d’un couple mixte avec enfants : “rencontre et préjugés”, “l’annonce aux parents”, “l’union”, “le projet bébé”, “la transmission”.
A savoir : selon l’INSEE il y avait en 2015 en France 15% d’unions mixtes (entre deux nationalités dont la française), un chiffre qui a presque triplé depuis 1950 et les migrations post-coloniales.
Cela signifie que de plus en plus de Français.e.s ont une double culture dont une culture des anciennes colonies, parfois depuis plusieurs générations.
Ce chiffre montre aussi que quand on parle de société multiculturelle dans un contexte français, on n’est pas du tout sur le modèle américain, où le mariage interracial était tout bonnement illégal jusqu’en 1967.
Donc pas de panique, on peut parler de la question raciale en France en utilisant des mots comme “racisé.e” sans dissoudre la République et devenir une société atomisée à l’américaine ! #çavabiensepasser
Le Cul entre deux chaises
Sa fondatrice Nina Dabboussi, aussi libano-française que franco-libanaise, est partie de son casse-tête multiculturel personnel : en grandissant, elle a manqué de repères et de documentation pour comprendre comment se construisent les enfants nés dans une culture différente de celle de leurs parents, comme les enfants issus d’une histoire d’exil ou les enfants adoptés.
C’est à travers une bibliothèque de témoignages qu’elle tente d’outiller les plus jeunes pour de répondre à des questions structurantes comme :
“Comment se construire en étant adopté.e ? Quel individu devient-on quand la culture familiale n’est pas celle inculquée à l’école ? Doit-on seulement faire un choix ? Peut-on accepter et embrasser toutes nos origines ? Comment se sentir légitime ?“
La singularité des histoires aide à distinguer l’intime du social, et ainsi à mieux comprendre ce qui se joue dans des situations ordinaires pour une personne avec une double culture, comme le classique moment “tu viens d’où ? Nan mais oui mais sinon, tu viens d’où ?” par exemple.
Les enfants du bruit et de l’odeur
Ce podcast a été pensé comme un véritable outil de survie et de dignité pour parents d’enfants racisés. Les deux co-fondatrices ont elles-mêmes subi du racisme, mais ont réellement pris la décision de s’exprimer publiquement sur le sujet quand elles sont devenues mamans :
“La maternité a été un élément déclencheur, puisque très tôt nos enfants ont eux aussi eu à subir le racisme : aussi bien par les autres enfants que par les comportements et/ou paroles d’adultes encadrant.e.s, d’enseignant.e.s, de professionnel.le.s de la petite enfance, de pédiatres.”
Le titre, c’est évidemment un clin d’œil à un discours de Jacques Chirac sur les immigrés (oui car avant de devenir cette figure du grand président cool et pacifiste à la stature internationale, Chichi était quand même limite tonton raciste gênant !) que tu ré-entendras presque avec nostalgie dans le podcast. Le racisme, c’était mieux avant, c’était plus clair quoi.
Le bonus qu’on apprécie énormément et que l’on soutient : une librairie inclusive avec des héroïnes et des héros qui permettent à tous les enfants de s’identifier. A retrouver sur le même site que le podcast.
En France, on a du mal à parler de multiculturalisme parce que vous comprenez, ça va créer du communautarisme. Et pourtant, ce que tu vas entendre dans ces podcasts, c’est tout l’inverse : des Français.e.s (et aussi une Belge) avec des origines très diverses, et qui racontent des expériences étrangement similaires.
Cet entre-soi communautariste des franco-x, des métèques (mot que l’on t’expliquait dans ce billet), est-ce que finalement ça ne serait pas le club le plus ouvert qui soit dans notre pays ?
crédit photo de couverture : Jaz King