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Géopoétique proche-orientale avec Mahmoud Darwich

mahmoud darwich

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– D’après le Huff Post, au lendemain du dernier cessez-le-feu, on comptait 248 morts palestiniens, dont 66 enfants ainsi que 12 morts en Israël dont un enfant, une adolescente et un soldat. 

– On compte aujourd’hui plus de 5 millions de réfugié.e.s palestinien.ne.s d’après le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU

– Dans son rapport d’avril 2021, avant-même les événements récents, Human Rights Watch établissait “que les responsables israéliens [avaient] commis les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution.« 

Ces chiffres et ces faits nous concernent toutes et tous, en tant qu’humanité.

Mais à notre échelle, difficile de se dire que l’on puisse y faire quoi que ce soit …

Alors non, on ne va probablement pas craquer le pourquoi du comment de soixante-dix ans de conflit israélo-palestinien dans cet article. En revanche, on te propose de plonger tes yeux, tes oreilles et ton cœur dans l’œuvre de l’artiviste palestinien Mahmoud Darwich, poète, musicien et résistant anticolonialiste. Une manière de faire exister et de célébrer l’identité palestinienne dont la légitimité et l’existence est menacée, de plan de partage en plan de partage, de colonisation en expropriation.

Dans cet article, tu découvriras le ghazal torturé qu’il a composé pour son amour de jeunesse, l’israélienne Tamar Ben Ami, les mots de résistance, de pluralité et de paix qu’il a fermement tenus concernant la terre où il a grandi, sa poésie mise en musique par lui-même et d’autres, et quelques ressources si tu souhaites mieux comprendre ce conflit ou contribuer à améliorer la situation humanitaire des Palestinien.ne.s.

Israël / Palestine ? 

First things first, il ne s’agit pas d’un conflit ethnique ni confessionnel contrairement à ce que l’on entend souvent : le conflit israélo-palestinien a des origines politiques.

D’un point de vue “ethnique”, plusieurs confessions cohabitent sur ce territoire depuis des siècles, avec des identités hybrides qui au croisement des identités cananéenne, juive, perse, romaine, chrétienne, grecque, assyrienne, byzantine, arabe, musulmane, ottomane. 

Des identités qui se sont forgées au fil des guerres de conquête et des routes du commerce, qui ont plus ou moins bien cohabité, qui se sont mêlées, mais qui peuvent toutes revendiquer plusieurs siècles de présence sur ce territoire aujourd’hui.

Dans un article de L’Humanité datant de 2004, le poète défendait cette pluralité culturelle et vivante :

“Pour moi, la Palestine n’est pas seulement un espace géographique délimité. Elle renvoie à la quête de la justice, de la liberté, de l’indépendance, mais aussi à un lieu de pluralité culturelle et de coexistence. (…) 

La différence entre ce que je défends et la mentalité officielle israélienne, c’est que celle-ci conduit à une conception exclusiviste de la Palestine alors que, pour nous, il s’agit d’un lieu pluriel, car nous acceptons l’idée d’une pluralité culturelle, historique, religieuse en Palestine.

Ce pays (…) n’a jamais été unidimensionnel ni à un seul peuple. Dans mon écriture, je m’avoue l’enfant de plusieurs cultures successives. Il y a place pour les voix juive, grecque, chrétienne, musulmane. 

La vision adverse concentre toute l’histoire de la Palestine dans sa période juive. Je n’ai pas le droit de leur reprocher la conception qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils peuvent définir leur identité comme ils veulent. 

Le problème, c’est que cette conception de l’identité signifie la négation de celle de l’autre. Cela nous empêche de vivre libres et indépendants. Ils estiment que nous n’avons aucun droit sur cette terre, dans la mesure où ils l’appréhendent comme terre biblique et jugent qu’elle est en attente, depuis deux mille ans, du « retour » de ceux qui l’habitèrent jadis.”

Il faut savoir qu’avant 1948, plusieurs organisations sionistes appellent le futur Etat juif “Palestine”, le nom du territoire depuis la période romaine jusqu’aux Ottomans et aux Britanniques. Le fait de rebaptiser “Palestine” en “Israël” est donc un symbole politique fort, qui a pour objectif d’effacer la pluralité culturelle du territoire.

On peut aussi noter que l’expression “arabe israélien.ne” fait référence uniquement aux arabes musulman.e.s ou chrétien.ne.s, alors que beaucoup de Juifs et Juives né.e.s en Palestine avant 1948 s’identifient comme arabes et sont donc des arabes israélien.ne.s. 

C’est souvent du côté du monde de l’art qu’il faut chercher celles et ceux qui ont refusé de choisir entre ces identités, voir notre article sur les intersections judéo-arabes, ou cet article universitaire de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord sur Rashed Hussein et Sasson Somekh pour illustrer le dialogue interculturel entre Palestiniens et Israéliens dans le années 1950. Ce sont deux figures littéraires, l’un israélien, l’autre palestinien, qui partagent une identité commune, une identité éminemment politique, qui se trouve quelque part entre arabité et judéité.

L’universitaire israélien d’ascendance irakienne Reuven Snir, qui a traduit en hébreu des poèmes de Mahmoud Darwich et a écrit sur son œuvre, dénonce une forme de suprématie blanche en Israël, qui s’est exprimée notamment avec la politique de planning familial ségrégative envers les Juif.ve.s noir.e.s d’Ethiopie mais aussi à travers une tentative d’effacement de la part d’identité arabe des Juif.ve.s présent.e.s dans la région.

Comme d’habitude, l’identité nationale est une construction politique, et l’identité israélienne s’est construite sur l’effacement d’une identité (aussi) arabe du territoire.

Identité multiple impossible, mélange impossible, comme Darwich le chantait pour son amour de jeunesse, l’israélienne Tamar Ben Ami surnommée “Rita” dans son poème. Extrait :

« Ah Rita

entre nous, mille oiseaux mille images

d’innombrables rendez-vous

criblés de balles.« 

Un poème ici interprété en musique par le grand artiste libanais Marcel Khalifé, avec sous-titres en français :

Les mots de la paix

Pour ton plus grand plaisir, voici une sélection parmi les nombreuses interprétations musicales de la poésie de Darwich, pour quelques heures de résistances poétiques, en arabe et en français :

  • Toujours avec Marcel Khalifé, mais aussi ses deux fils du quartet Al Mayadeen, l’album Andalusia of Love, un long poème d’amour à la façon du ghazal déclamé par Darwich.
mahmoud darwich
crédit photo : Denis Dailleux/VU’

Radio résistance

On fête les 100 ans de l’invention de la radio en ce moment, et la radio, c’est aussi un outil de résistance : « radio Londres » en France dans les années 1940, la Radio Al Quds en Palestine juste avant la création de l’Etat d’Israël, à l’époque du mandat britannique.

Le festival Ciné Palestine revient sur cette aventure lors d’une projection du documentaire Jerusalem Calling de Raed Duzdar ce samedi. Une radio créée par les colons anglais dans les années 1930 pour modeler l’opinion publique, qui s’est vite transformée en espace de résistance incontrôlable, ce qui lui a valu d’être littéralement détruite en 1948.

Projection de Jérusalem Calling

5 juin 2021

Festival Ciné Palestine

Infos et réservation ici 

Que faire ?

Une manière d’agir si on se sent dépassé.e ou pas assez outillé.e pour comprendre réellement la situation là-bas, c’est déjà d’en parler ou d’écouter, peu importe son niveau de connaissance de la situation, la conversation doit continuer (en pensant quand même à prendre soin de soi dans le flot continu d’informations angoissantes qu’on doit absorber chaque jour …).
Et par ailleurs il est possible de mieux comprendre la crise humanitaire palestinienne et contribuer à la soulager en soutenant des ONG de confiance comme Médecins du Monde, qui en disent plus ici ; ou Médecins Sans Frontières, qui produit aussi du contenu d’information sur la situation des Palestinien.ne.s.

image de couverture : « Confident » de Michel Goulet au Jardin du Palais Royal à Paris —crédit photo : Désoriental

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