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Attika Trabelsi, militante antiraciste, féministe et musulmane

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Attika Trabelsi, co-fondatrice de l’association Lallab, lance sa maison d’édition féministe et antiraciste, Femmeuses.

Son premier livre sort à point nommé en ce début du mois hégirien de Ramadhan, et présente quinze portraits femmes musulmanes inspirantes qui ont fait l’Histoire 🙌 mais en ont été invisibilisées.

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Avant la sortie du livre, elle avait répondu à nos questions lors d’une interview 100% désorientale où elle s’exprime sur le rapport qu’elle entretient avec sa multiculturalité. 

Elle y partage ses coups de cœur culturels, évoque la transmission, de ses parents, et à ses enfants, et retrace comment s’est construit son engagement militant au fil des rencontres.

Elle y parle aussi de son livre (disponible ici en précommande), et notamment de Khadija (la femme du prophète de l’islam, ndlr.), une femme puissante et avant-gardiste dont le parcours reste pourtant peu connu, y compris des musulman.e.s.

L’interview en vidéo :

0:20 : ce qu’elle dit quand on lui demande : « Tu viens d’où ? »
0:50 : comment sa double culture influence son travail
2:50 : le jour où elle a compris qu’elle était racisée
3:50 : comment elle a géré ça
5:45 : sur le fait d’être un pont entre plusieurs cultures
7:45 : ce que ses parents lui ont transmis de leurs traditions
8:35 : ce qu’elle veut transmettre à ses enfants de cette double culture
11:05 : ses coups de cœur culturels 100% métèques
13:20 : Khadija, la femme du prophète de l’islam, tellement badass et pourtant méconnue
14:30 : Attika, une femme plurielle !

Et en version texte :

Désoriental : Peux tu te présenter ?

Attika Trabelsi : Je m’appelle Attika, et je travaille actuellement sur un projet de livre qui vise à mettre en avant les femmes musulmanes oubliées, invisibilisées et parfois même disqualifiées. 

(Le livre est paru depuis l’interview, ndlr.)

Désoriental : Que réponds-tu à la question : “Tu viens d’où ?” ?

Attika : Il y a plusieurs réponses : il y a celle de la provocation qui vise à dire que je viens de Bourgogne. Et puis il y a celle où je dis d’où je viens réellement. Du coup, c’est plus compliqué puisque mon papa est tunisien, ma maman algérienne, mon grand-père soudanais, je suis née en France, j’ai grandi en France. D’où je viens ? D’un peu partout de là-bas, mais je pense que mes grands-parents eux-mêmes viennent d’ailleurs, ce n’est pas si évident.

Désoriental : Comment se manifeste ta double culture dans ton travail ?

Attika : Ça se répercute sur pas mal de choses. Je pense que ça a un impact sur la créativité, un impact sur notre manière de penser, de réfléchir, d’agir. En fait, je dirais même que cette pluralité d’identités, c’est la source de ce livre. C’est la source d’un questionnement. Un questionnement où, d’une part, en grandissant, j’ai été confrontée à des modèles de femmes qui n’étaient pas tellement “inspirantes” pour moi. On nous présentait souvent des modèles de femmes qui nous rappelaient que c’était bien de s’occuper de sa famille, de son mari, de ses amis, de tout le monde … Enfin, sauf de soi ! Et puis, d’un autre côté, j’ai aussi développé un regard assez féministe. Pas avec le féminisme mainstream : moi, c’est la rencontre avec l’afro-féminisme et l’intersectionnalité qui m’a forgée. 

Au croisement de cette frustration durant mon éducation, avec un manque criant de figures historiques musulmanes role models ; et de toutes ces interrogations sur les questions féministes, de genre, de sexisme, de misogynie, … On mélange le tout et là, on se dit : “OK, et moi, dans tout ça, en tant que femme musulmane, comment je me positionne ? Moi qui n’ai pas eu ces role models, comment je peux faire un travail pour ceux et celles qui sont à la recherche de réponses puissent finalement en trouver ?” Pour que mes enfants aussi puissent échapper à ces questionnements profonds et assez lourds à traverser.

Désoriental : Quand as-tu pris conscience que tu avais plusieurs cultures ?

Attika : Très, très tôt, dès la maternelle. J’avais une copine qui s’appelait Océane et un jour, elle m’a dit —et ça m’a marqué : “On ne peut pas jouer ensemble parce que parce que papa et maman ils m’ont dit que tu as les mains sales. Ta peau, elle est sale.” J’ai eu le réflexe de dire : “Mais non, regarde nos paumes, on a la même couleur !” C’était une réponse d’enfant, mais en y repensant, je me dis que c’est assez hardcore en fait ! 

Et du coup, l’acceptation de tes identités, de leur pluralité est compliquée. En fait, quand tu grandis dans un contexte qui n’en fait pas une force, tu te retrouves parfois à les masquer, ou alors à les extrapoler. Mais forcément, à un moment ou à un autre, tu dois dealer avec ça.

Quand tu grandis dans un contexte qui voit pas la double culture comme une force, tu te retrouves parfois à la masquer, ou alors à la surjouer.

Désoriental : Toi, comment tu as dealé avec ça ?

Attika : Différemment selon les périodes de ma vie. Dans un premier temps, je pense que j’ai été dans le rejet, parce que je voulais ressembler aux personnes qui m’entouraient, je voulais être appréciée. J’avais ce besoin de reconnaissance qu’on a quand on est petit.e. En grandissant, et notamment en arrivant à l’université, j’ai dealé avec différemment puisque c’est là où je me suis vraiment déconstruite. J’ai découvert l’antiracisme, l’afro-féminisme, le féminisme islamique. J’ai rencontré des personnes qui me ressemblaient et du coup, j’étais un peu dans l’exagération, dans l’exacerbation. Et puis finalement, après avoir justement eu cette petite période qui m’a permis de reconnecter —puisque c’est une sorte de reconnexion, j’ai appris à trouver un équilibre. 

Je pense qu’il y a peut-être un équilibre qui se trouve dans ce cheminement entre la première partie où on est clairement dans le rejet de nos identités, parce que la société nous impose indirectement d’agir de cette manière, puis une étape de revendication exacerbée, qui vient quand on prend conscience des mécanismes de domination, et qu’on a besoin de réagir face à ça. Moi, j’ai réagi très brutalement. Et puis finalement, on trouve un peu la paix intérieure en se disant qu’après tout, nous, on a une sacrée chance d’avoir ça parce qu’on a une sacrée richesse et que finalement, c’est ça notre force. Et quand on arrive à tout faire marcher ensemble, je pense que ça devient méga puissant. 

Désoriental : C’est compliqué d’être un « pont » entre plusieurs cultures ?

Attika : C’est assez rigolo cette notion de pont, de se dire qu’on a les deux pieds entre plusieurs histoires. Ça a ses avantages comme ses inconvénients. Commençons par les inconvénients : ça peut créer des incompréhensions de ceux et celles qu’on aime, notamment nos parents et nos grands-parents, qui ne comprennent pas toujours nos choix, qui ne comprennent pas pourquoi on fait comme ça, qui ont le sentiment qu’on abandonne notre culture, notre identité « principale » selon eux.

Et puis, ça a aussi des avantages, dans le sens où je sais que ma mère est super fière de moi, puisque j’ai eu la possibilité, peut-être aussi le courage de prendre des décisions qu’eux ne pouvaient pas prendre parce que c’était encore trop tabou, parce que qu’ils n’en avaient pas la possibilité, parce que les possibilités qu’on leur offrait n’était pas n’étaient pas équivalentes à celles qu’on a aujourd’hui. 

Au fait, quand je dis “nous”, je parle de moi et de mon conjoint parce qu’on vit tous les deux la même chose !

Avec cette pluralité de cultures, on est un peu en alerte constante en se disant : “OK, je vais faire ça, maiiiiis … » Il va falloir que je réfléchisse aux arguments et contre-arguments. C’est une gymnastique intéressante. Je le dis pour nos familles mais c’est aussi intéressant dans le cadre professionnel ou de mes projets. Parfois, je vais me dire : “Ah, je vais peut-être plus me positionner comme ça, plutôt y aller de telle manière.” 

On a tellement d’identités que parfois, c’est un peu des cartes. Il faut savoir jouer aux cartes pour gagner la partie !

On a tellement d’identités, ce n’est pas simple d’arriver à se positionner entre tout ça. C’est un peu des cartes. Il faut savoir jouer aux cartes pour gagner la partie !

Désoriental : Qu’est-ce que tes parents t’ont transmis de leurs traditions ?

Attika : Pour moi, c’est vraiment un tout. C’est quelque chose qui nous dépasse, il y a tellement de choses ! Là je pense à la cuisine parce que quand on y pense, c’est quelque chose qui est difficile à retrouver quand on est loin de chez soi, quand on n’a plus ça. Et en même temps, je me dis que quelque part, ça tend à disparaître puisque ça repose sur nos parents et nos grands-parents uniquement, et c’est problématique. Donc oui tiens, je vais aller faire un petit stage chez mes grands-parents !

Désoriental : Qu’est-ce que tu veux à ton tour transmettre à tes enfants ?

Attika : J’ai vraiment envie, et c’est encore plus marqué chez mon conjoint, qui attache une importance toute particulière à son identité marocaine, de leur transmettre nos histoires. Moi, ce qui m’a construite, ce qui m’a permis d’être là aujourd’hui, c’est cette fierté pour ma famille et notamment de mes grands-parents. Ils ont vécu tellement d’épreuves, de difficultés que je serais profondément déçue si mes enfants n’avaient pas de gratitude vis-à-vis de leurs sacrifices, s’ils oubliaient l’histoire de nos familles. 

Et quand je pense au parcours de mon grand-père, qui était ouvrier, qui a construit ce pays, qui a construit les métros il y a quarante ans dans des conditions très difficiles, ou à ma grand-mère qui était femme de ménage, dans un premier temps même pas déclarée, dans les familles bourgeoises, et qui était traitée comme une moins que rien, eh bien j’aimerais que mes enfants prennent bien conscience de ça. Ce n’est pas parce qu’on a réussi en quelques générations à renverser la tendance qu’il faut l’oublier. Et notre force, elle est là. 

Moi, j’ai cette histoire dans mes tripes, je sais que mes grands-parents ont vécu ça, qu’ils ont fait tout leur possible pour pas qu’on le vive à notre tour, donc il ne faut pas l’oublier. Et j’ai envie de transmettre ça à mes enfants. Leur dire : “Tes grands parents, tes ancêtres, c’est des warriors, c’est des battants !” 

Ça me fait penser au texte d’une amie, Awa, qui a écrit un texte tellement puissant sur le sujet. Ça disait : “Il faut qu’on ose, on n’a rien à perdre !” Quand on voit ce que nos grands-parents ont osé faire … ils ont pris des risques, des risques énormes ! Et nous est là : “Olala, est-ce que je devrais quitter mon travail ?” (rires). Ils ont tout quitté. Ils ne savaient absolument pas ce qui les attendait. C’est des battants, des battantes et on a énormément à apprendre d’eux. C’est ça mon modèle, c’est eux mes role models.

Nos grands-parents ont tout quitté. Ils ne savaient absolument pas ce qui les attendait. C’est des battants, des battantes et on a énormément à apprendre d’eux. C’est ça mon modèle, c’est eux mes role models.

Désoriental : Est-ce qu’il y a un livre qui te connecte à ta double culture ?

Attika : Un livre de l’écrivain Yasmina Khadra, Ce que le Jour doit à la nuit. Ce livre-là m’a mis dans une réalité qui était celle de ma famille … 

yasmina khadra

Désoriental : Un film ?

On reste dans l’histoire de l’Algérie, j’étais petite, on nous a fait regarder ce film au collège, Le Gone du Chaâba. Naïvement, j’ai demandé à mon grand-père si c’était vraiment comme ça. Et sa réponse a été oui. Ils ont vécu comme ça, quoi …

le gone du chaaba

Désoriental : Un plat ?

Attika : Je vais dire team Tunisie ! Avec deux plats : le premier, c’est la mloukhiya, une espèce de sauce verte super bonne. Personne ne peut comprendre ça ! Si tu n’es pas Tunisien, si tu n’as pas éduqué ton palais à la mloukhiya, tu ne peux pas comprendre (rires) ! Mon mari déteste ça ! Le deuxième, c’est aussi un plat tunisien, ça s’appelle douara, ce sont des tripes farcies. C’est très bon hein, mais pareil, c’est un truc de Tunisiens ! 

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crédit photo : Emilie Franzo

Si tu n’es pas Tunisien.ne, si tu n’as pas éduqué ton palais à la mloukhia, tu ne peux pas comprendre !

Désoriental : Un lieu ?

Attika : Un restaurant éthiopien qui est rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11ème et qui s’appelle La Reine de Saba, c’est bon et c’est incroyable. Le personnel est adorable et la nourriture est tellement bonne. Le petit tips, c’est d’y aller après 14h en semaine : comme il y a moins de monde, vous allez pouvoir avoir des échanges avec les deux matrones. Elles vont prendre le temps de vous faire les petits rituels du café, elles vont vous raconter comment elles font les galettes, quels sont les ingrédients. Et puis elles vont vous resservir, vous resservir !

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source : The Fork

Désoriental : Une personnalité inspirante ?

Attika : Une femme qui est méga puissante et qui n’est pas assez valorisée, c’est Khadija, qui était la femme du Prophète (sws), qui était incroyablement badass. Une femme entrepreneuse, une femme qui s’était déjà mariée deux fois, qui avait déjà des enfants. C’est elle qui lui a demandé sa main, elle avait vu quelque chose en lui, c’est incroyable ça aussi ! Elle a également été la mécène de l’islam quand il y avait des embargos à La Mecque, quand les premiers musulmans et musulmanes étaient persécutés. C’est elle qui a posé le cash, c’est elle qui les a nourri.e.s. Donc j’ai toujours un petit pincement au cœur quand j’entends parler d’elle comme “Khadija la femme du prophète”, qu’elle est réduite à son statut d’épouse.

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source : femmeuses.fr

Désoriental : Chez Désoriental, on aime dire que nous sommes pluriel.le.s. Peux-tu nous dire en quelques mots tout ce que tu es ?

Attika : Je suis une femme, je suis féministe, je suis militante, je suis sportive, je suis entrepreneuse, je suis maman, je suis ambitieuse, je suis optimiste, je suis une sœur au sens large. Et je suis … je suis épanouie avec tout ça !

Je suis une femme, je suis féministe, je suis militante, je suis sportive, je suis entrepreneuse, je suis maman, je suis ambitieuse, je suis optimiste, je suis une sœur, au sens large. Et je suis … épanouie avec tout ça !


  • Suivre le travail d’Attika sur Instagram : @femmeuses_

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