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Anténor Firmin : démonter le racisme grâce à la science

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Successivement professeur, journaliste, fonctionnaire et homme politique, Joseph Anténor Firmin (1850 – 1911) est un citoyen haïtien engagé pour le développement de son pays qui a alors conquis son indépendance depuis moins d’un siècle.

Coopté par son compatriote Louis-Joseph Janvier, il devient en 1885 membre de la Société d’Anthropologie de Paris, société fondée par Paul Broca, pionnier en anthropométrie crâniale ou “crâniologie” (un outil scientifique pour justifier non seulement l’idée de supériorité blanche, mais aussi de supériorité du cerveau masculin sur le cerveau féminin #2en1).

Une réponse à la domination symbolique des corps dans l’idéologie raciste

Ce virage de carrière d’homme politique à anthropologue, n’est pas un changement mais une continuité de ses engagements. Il veut, grâce à la science anthropologique, lutter contre le mal par le mal : il publie en 1885 De l’Égalité des races humaines, un ouvrage de recherche (notamment en crâniologie mais pas que), en réponse directe à l’Essai sur l’inégalité des races humaines de son contemporain Arthur Gobineau, figure alors très respectée de la Société d’Anthropologie notamment pour ses recherches en crâniologie et sa défense de l’arianisme, c’est à dire le nécessaire maintien et développement d’une élite aryenne comme condition pour qu’une civilisation prospère.

Aimé Césaire (qui au passage est souvent édulcoré, rendu consensuel et vidé de la radicalité de sa pensée anticolonialiste) avait décrit Haïti comme « là où la Négritude s’est mise debout pour la première fois ». 

Dans De l’Egalité, Firmin utilise l’histoire des civilisations du continent pour rappeler que l’Afrique n’est peut-être pas assez rentrée dans l’histoire des autres, pour paraphraser le triste discours de Dakar en 2007, mais qu’elle a bien une histoire et de grandes civilisations.

Ici, un ancien podcast dédié à Anténor Firmin sur RFI (20min)

Tu y apprendras notamment que devant la qualité de son travail, ses confrères lui demandaient s’il n’avait pas d’ascendance blanche pour être ainsi “évolué” par rapport aux autres noirs … Voilà. Bonne écoute !

Rappelons que l’histoire des zoos humains, qui s’appuient sur l’anthropologie raciste à la Gobineau qui elle-même venait justifier l’idéologie coloniale, ne s’est arrêtée symboliquement que récemment en France

Ainsi, la dépouille de Saartjie Baartman, femme sud-africaine exposée en cage comme une bête de foire et forcée à la prostitution jusqu’à sa mort à 27 ans en 1815, plus connue sous le surnom de Vénus Hottentote, a encore été exposée au respectable Musée d’Orsay en 1994 après un passage au Jardin des Plantes et au Musée de l’Homme dans la première moitié du XXe siècle, restituée à son pays natal seulement en 2002 … 

La question de la domination des corps colonisés n’est donc pas une lointaine archive, et ne peut pas être si simplement disqualifiée de nos débats mémoriels français.

De l’Égalité des races humaines, une réponse à Jules Ferry (pas celui de l’école obligatoire, l’autre !)

Le livre de Firmin paraît aussi l’année du discours sur la colonisation de Jules Ferry en 1885 à l’Assemblée Nationale qui défend que :

« il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles : elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.” 

Jules Ferry, discours sur la colonisation, 1885

Ce discours ajoute à l’entreprise coloniale qui a commencé dans un but de profit économique, une mission civilisatrice, qui permettra de justifier, et durablement, les pires traitements au nom de cette noble mission raciste, au sens premier du terme.

Merci à Jules Ferry pour l’école primaire obligatoire, mais doit-on pour autant effacer des livres d’école un discours qui aura autant de conséquences ?

Discours qu’il est d’ailleurs fort intéressant de relire accompagné des débats en séance sur le site de l’Assemblée Nationale, pour se souvenir qu’à l’époque, une partie de l’hémicycle combat, au nom des principes des révolutions de 1789 et de 1848, cette idéologie colonisatrice.

Notre histoire française contient aussi une histoire de l’anticolonialisme, pas seulement “indigéniste” et récente comme on l’entend trop souvent, mais simplement républicaine, et qui a dès le début coexisté avec l’idéologie coloniale.

Haïti, phare d’un vrai universalisme, cohérent entre le discours et les actes

Parenthèse et preuve s’il en fallait des possibles convergences des luttes : Haïti est un petit pays qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais qui prend sa part, quand on sait son rôle d’accueil de dizaines de milliers de réfugié.e.s Juif.ve.s européen.ne.s pendant la Seconde Guerre Mondiale et leur déportation massive, par la France notamment ; sa décision par décret en 1939 de les naturaliser automatiquement et sa déclaration de guerre au IIIe Reich en 1941, comme l’explique l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert sur le plateau de La Grande Librairie en commentaire de son roman sur le sujet Avant que les ombres s’effacent :

Pour cette raison, pour la dette originelle imposée par la France à l’indépendance d’Haïti qui continue d’handicaper le pays des siècles plus tard, pour le fait qu’Haïti soit le premier pays à avoir aboli l’esclavage, et pour l’œuvre pionnière et universelle d’Anténor Firmin et d’autres leaders, les héros et héroïnes haïtien.ne.s devraient de manière évidente faire partie intégrante d’une mémoire française à la hauteur des défis de notre société. 

L’existence depuis 2012 d’une allée Anténor Firmin à Fort-de-France n’est qu’un trop timide début.

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