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Djamila Bouhired, moudjahida de la liberté

djamila bouhired

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Hier comme aujourd’hui, lutter pour la liberté

À l’affiche du panthéon décolonial aujourd’hui : Djamila Bouhired, icône vivante de la combattante anticolonialiste.

Son histoire nous fait réfléchir sur l’idéal révolutionnaire et les moyens d’action pour lutter contre le racisme. Elle incarne un idéal universel de liberté à travers son combat particulier de femme algérienne dans l’Algérie française, et c’est important que les histoires universelles puissent venir de partout, pas seulement des héros d’Hollywood ! Elle est aussi un trait d’union entre les luttes passées et actuelles.

Djamila Bouhired, une résistante

Pour en faire un portrait bref, Djamila Bouhired est une femme algéro-tunisienne. Enfant, elle va à l’école française d’Alger, et dans sa jeunesse elle s’engage dans le Front de Libération National (FLN), le parti indépendantiste algérien. Elle organise des attaques à la bombe contre l’occupant français. En 1957, elle est faite prisonnière de l’armée française et finit par être condamnée à mort pour participation à des attentats.

Elle est l’une des six femmes condamnées à mort pour actes terroristes pendant la guerre d’Algérie avec Djamila Bouazza, Jacqueline Guerroudj, Zahia Kherfallah, Djaouher Akrour et Baya Hocine.

Violence et contre-violence

L’histoire de Djamila Bouhired est l’occasion de questionner les modes d’action de la lutte anticolonialiste, notamment avec l’analyse de Frantz Fanon sur la violence.

Frantz Fanon décrit la violence comme levier légitime et inévitable pour l’émancipation d’un groupe opprimé, il parle de “praxis violente”. Pour lui, la violence collective des colonisés à l’égard des colons est une “contre-violence”, une réaction qui éclate devant une violence première, qui s’est trop accumulée. Ce n’est en aucun cas une apologie de la violence, mais un constat presque mécanique :

“La violence du régime colonial et la violence du colonisé s’équilibrent et se répondent dans une homogénéité réciproque extraordinaire. (…) Le manichéisme du colon produit le manichéisme du colonisé. À la théorie de « l’indigène mal absolu », répond la théorie du « colon mal absolu »”.

Les Damnés de la Terre, 1961

Cette approche de la violence légitime et inévitable du colonisé résulte sans doute aussi du parcours personnel de Frantz Fanon, en tant qu’ancien résistant gaulliste, français martiniquais issu de l’histoire de l’esclavage et citoyen français qui s’inspire forcément de l’héritage de la Révolution.

Il ne glorifie pas ce levier, il le décrit mécaniquement, et en tant que psychiatre, il en anticipe les séquelles psychologiques dramatiques. Cette violence nécessaire est une impasse tragique :

“Cette praxis violente est totalisante, puisque chacun se fait maillon violent de la grande chaîne, du grand organisme violent(…), la lutte armée mobilise le peuple, c’est-à-dire qu’elle le jette dans une seule direction, à sens unique.”

Dans cet extrait des Damnés de la Terre, il anticipe déjà le piège du militantisme “contre”, le militantisme “anti-système”. Il pose la question de l’après : que se passe-t-il après après la victoire contre l’oppresseur ? Après avoir conquis sa liberté contre, comment mettre fin à ce qu’il appelle “l’atmosphère de violence” qui subsiste même après la fin du conflit ?

Comment les colonisés passent-ils d’opprimés à sujets libres et pacifiés ? Et de quelle nouvelle histoire sont-ils désormais les sujets, quels récit(s) « pour«  peuvent remplacer la lutte « contre » ?

Cette parenthèse sur la pensée de l’incontournable de Frantz Fanon était nécessaire pour resituer le recours à la violence de la poseuse de bombes Djamila Bouhired dans le contexte colonial, mais aussi pour nous faire réfléchir sur la nécessité de modes d’action positifs, “pour ” quelque chose, si on veut réellement mettre fin au racisme issu de l’époque coloniale, à son cercle vicieux de violences et de contre-violences.

On peut rêver d’un parallèle entre la question post-coloniale française et la Révolution française : cette dernière a été violente et clivante pendant des décennies, mais a fini, au fil des luttes et des générations, par sédimenter positivement comme un socle de valeurs communes, et fait aujourd’hui partie d’un récit national fédérateur et évident pour chaque Français.e, peu importe de quel côté de l’Histoire étaient ses ancêtres au moment de la Révolution.

Peut-être que demain, malgré les difficiles débats mémoriels et identitaires liés à la colonisation, nous pourrons être collectivement fiers d’avoir réussi en tant que peuple français à avoir aligné le fonctionnement de notre société et notre récit à la devise nationale de Liberté, d’Égalité et de Fraternité.

Un fort écho politique en France et dans le monde arabe

L’histoire de Djamila Bouhired a déclenché un mouvement important de soutien :

  • Le soutien des communistes français, avec la campagne médiatique menée par son avocat Jacques Vergès et le journaliste Georges Arnaud en 1957, notamment le manifeste Pour Djamila Bouhired (qui inspirera quelques années plus tard l’ouvrage de feu Gisèle Halimi, Djamila Boupacha).
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l’actrice égyptienne Magda al-Sabahi incarnant Djamila Bouhired dans le film Djamila l’Algérienne

C’est grâce à ce mouvement culturel, cette “mythification” comme dirait Roland Barthes ;-), qu’elle gagnera la bataille de l’opinion publique et sera finalement graciée en 1962 dans le cadre des accords d’Evian.

Djamila Bouhired, un trait d’union avec le présent

Djamila Bouhired est encore vivante aujourd’hui, et elle est à plusieurs titres un trait d’union entre la lutte indépendantiste algérienne et les combats actuels pour la liberté, l’égalité et la fraternité.

Après plusieurs décennies loin de la vie publique, elle réapparaît devant l’élan populaire pour la démocratie en Algérie : sa participation a été acclamée aux marches du 1er mars 2019 contre un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika et du 8 mars 2019 pour les droits des femmes. Elle est une figure emblématique de l’Algérie libre et de la femme libre.

Elle a aussi été une inspiration très forte de l’une des penseuses décoloniales et féministes actuelles les plus importantes de notre époque, Françoise Vergès.

Militante notamment auteure de l’essai Un Féminisme décolonial paru l’an dernier, et nièce du célèbre avocat, Françoise Vergès a grandi avec le mythe de Djamila Bouhired.

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Elle explique dans cette interview par la philosophe franco-algérienne Seloua Luste Boulbina comme cette figure proche de sa famille a été présente dans les conversations pendant son enfance à la Réunion. Fascinée par la lutte indépendantiste algérienne, Françoise Vergès emménagera à la fin des années 1960 chez son célèbre oncle Jacques Vergès qui est alors marié avec Djamila Bouhired, puis étudiera un temps à Sciences-Po Alger dans les années 1970, une période initiatique dans son parcours de militante tant antiraciste que féministe.

Pour Françoise Vergès, il existe un “féminisme civilisationnel, héritage direct de la “mission civilisatrice” coloniale de Jules Ferry, dont le but est de sauver la femme barbare de son ignorance, et qui se cristallise notamment dans l’obsession médiatique sur le voile islamique (cf. le burkini, l’ex-présidente du syndicat étudiant UNEF Maryam Pougetoux, les mères voilées accompagnatrices scolaires, …) et l’absence des femmes voilées féministes dans ces mêmes débats. Une approche paternaliste du voile héritée en partie de l’époque coloniale et ses cérémonies de dévoilement.

Djamila Bouhired est enfin un témoignage vivant des relations passées et présentes entre la France et ses anciennes colonies en général, entre la France et l’Algérie en particulier.

Ce passé colonial est régulièrement présent dans l’actualité. A l’heure où cet article est écrit, le président français vient de confier une mission sur “la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie” à l’historien Benjamin Stora. Si le choix de l’intellectuel et la gouvernance de la mission ne feront probablement pas l’unanimité, le geste fait date.

Il s’agit moins d’une question de relations internationales entre la France et l’Algérie que d’un enjeu franco-français : la guerre d’Algérie est encore douloureuse pour beaucoup de Français.e.s directement descendant.e.s de cette histoire : descendant.e.s de colons, descendant.e.s d’algériens : musulmans, chrétiens, juifs pieds noirs ou non, indépendantistes comme Djamila Bouhired ou harkis (au sujet des Français descendants de harkis, lire l’excellent article de Léa Djénadi sur Slate) …

Quel meilleur laboratoire mémoriel que l’Algérie française ?!

Cet épisode de l’Histoire nous obligera à complexifier et relier ensemble les différents récits, à détricoter l’histoire de la colonisation pour prendre conscience de ses conséquences actuelles.

L’histoire est un outil pour lutter contre les discriminations raciales actuelles, mais on peut en attendre plus : c’est aussi un moyen pour que les Français descendants de l’histoire coloniale cessent d’être si “exotiques”, et puissent enfin se situer de manière apaisée et évidente dans l’histoire et la société françaises.

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