Ouh, de la culture … On est d’accord, ce n’est pas la plus grosse envie qu’on ait en cette quatrième semaine de confinement ! Mais « écrire, c’est surtout essayer de survivre« , d’après Le Clézio … alors plutôtbienvenuque l’écriture comme sujet pour ces temps troublés. Pour commencer en douceur toutefois, cadeau : un chat rigolo qui danse sur une musique arabe, et une petite « confidanse » de Habibitch sur Nova pour se dégourdir les bras avec fierceness !
C’est bon, prêt.e à te culturer ? Immersion en textes et en images dans un sujet qu’on adore chez Désoriental : l’écriture, la typographie, la calligraphie. Bonne exploration !
1. Il y a plus de mots d’origine arabe que gauloise en français
Et rien que ça, c’est une excellente raison pour s’intéresser à cette langue ! Coton, chiffre, café, magasin, bougie, alcool, zénith, … Le professeur d’histoire de la langue française Jean Pruvost évoque l’étymologie arabe de tous ces mots et de bien d’autres dans son livre Nos Ancêtres les Arabes et dans cette interview chez La Grande Librairie de France 5. Pour être exacts, les mots d’origine arabe sont parfois des mots eux-mêmes hérités du turc ou du perse.
Quand on y pense, en enseignant l’arabe à l’école publique, on n’est pas à l’abri de faire découvrir à nos enfants des choses sur leur propre histoire française. En parlant d’histoire, l’arabe était enseigné sous François Ier au Collège des lecteurs royaux, l’ancêtre du Collège de France, comme on l’apprend dans cet article de France Culture.
Mais attention, langue arabe orale et langue écrite sont deux sujets bien distincts. Sans entrer dans le détail, écouter à ce sujet l’excellent épisode « Parlez vous arabe ? » de l’excellent podcast Tarab produit par Binge Audio.
50min
2. Les premiers arabophones n’écrivaient pas en arabe
L’arabe a d’abord été une langue orale, elle a été écrite d’abord avec un alphabet araméen puis nabatéen selon une hypothèse, syriaque selon une autre, avant de devenir l’arabe vers le début du IVe siècle. Laila Nehme, archéologue au CNRS explique ici ces origines, même s’il reste une part de mystère dans l’histoire de cette langue comme le souligne Michel Nicolas dans De l’Araméen à l’arabe.
Les caractères sont au départ des idéogrammes qui représentent des choses avant d’avoir une valeur de phonèmes. Par exemple, la lettre arabe M qui se prononce « mim » signifie « eau »en phénicien —qui se dit mae en arabe.
3h
3. L’écriture arabe est utilisée dans une dizaine d’autres langues
L’arabe s’est diffusé dans le monde à travers les différentes conquêtes islamiques, et les langues locales ont été transcrites à l’écrit avec l’alphabet arabe ou des variantes comblant le manque de certains phonèmes.
On compte ainsi des langues médiévales : le roman espagnol aljamiado ou le malais jawi en Indonésie. Plus récemment ou actuellement : des langues persanes comme le farsi, le balouch, le pashto, le dari et le kurde ; des langues indo-aryennes comme l’ourdou, le sindhi et le kashmiri ; des langues ouest-africaines comme le haoussa, le wolof et le peul, qui s’écrivent en arabe ajami mais aussi en écriture latine ; des langues turques comme l’azéri, le croate ou avant Attatürk, le turc, et avant l’Union Soviétique, le ouïghour et le turkmène qui s’écrivent désormais en cyrillique ; des langues bantoues est-africaines comme le swahili ou le somali, écrits en alphabet latin (et pour le somali également en alphabet osmanya) depuis les colonisations européennes du XXe siècle.
4. L’art calligraphique arabe est « le plus spiritualiste des dessins », disait Baudelaire
Si la calligraphie arabe a une forte dimension mystique, c’est parce que cet art est littéralement né d’une contrainte religieuse : en islam, il est interdit de représenter la Création. L’écriture du Coran devient un terrain d’expression et de créativité pour figurer l’infini et la beauté de parole sacrée.
Les principaux styles de calligraphie sont régis par des principes mathématiques géométriques, avec des formes aux proportions parfois calculées à l’aide du nombre d’or, ce qui a valu à cet art l’admiration de Michel-Ange.
Cadeau : une petite séance de méditation calligraphique et musicale avec cette vidéo qui fait graviter les lettres autour de points fixes au son du oûd :
Chez les soufis, une école d’interprétation du Coran ésotérique s’est développée autour des lettres. Appelée « ‘ilm al hurouf » ou « simiyya », la « science des lettres », cette discipline dresse une équivalence entre chaque lettre et un nombre, et les occurrences de lettres dans les sourates deviennent des clés pour accéder au monde invisible et aux secrets les plus profonds du texte sacré.
Toujours chez les soufis, la pose des derviches tourneurs quand débute la transe, bras élevés vers le ciel, rappelle la forme du « lam-alif » (L-A), qui sont les deux premières lettres de la profession de foi musulmane.
Un reportage sur les derviches turcs pour admirer cette danse soufie :
Aujourd’hui la calligraphie arabe se « sécularise », elle ne rayonne plus uniquement avec l’islam, elle connaît un renouveau important grâce aux streetartists et aux designers nés avec la mondialisation.
Elle devient un symbole de paix et de liberté, depuis les révolutions arabes notamment. Le streetartist français el Seed explique son engagement artistique dans ce TED Talk sur son « calligraphiti » géant en anamorphose sur 50 immeubles au Caire.
Autre signe de cette sécularisation, la calligraphie arabe innove en contournant la raison d’être première de l’art calligraphique, à savoir l’interdit de représenter les choses. On le voit chez des calligraphes comme le soudanais Hassan Musa, l’égyptien Mahmoud El Sayed ou l’américain Everitte Gurney Barbee, qui donnent aux lettres calligraphiées la forme des choses qu’elles représentent.
5. L’arabe 2.0. s’écrit … avec l’alphabet latin !
Avec l’arrivée du smartphone, l‘arabe des textos, qu’on appelle l’arabizi, 3arabizi ou arabeezy, signifiant « easy arabic ». Une vidéo d’ArabicPod101 (super app / site /chaîne au passage !) explique le concept en quelques minutes.
Les lettres manquantes en alphabet latin sont remplacés par des chiffres qui leur ressemblent. Ainsi le chiffre 2 représente la lettre ء qui fait le son » ‘ » ; le 3 pour la lettre ع qui fait le son « ain » ; 5 / خ / kh ; 7 / ح / h ; 8 / ق / q.
Cette écriture valorise les dialectes arabes locaux, l’arabe réellement parlé, et les fait exister à l’écrit. Ces dialectes sont pleins d’inventions et de raccourcis, parfois critiqués comme des « sous langues » quand ils sont écrits en utilisant l’alphabet arabe.